mardi 11 janvier 2011

Chapitre 17: Maigre bonté

Isolée mais pas seule. Je ne sors pas de ma bulle, que ce soit à Sainte-Anne ou à l’extérieur. Rien ne l’entame mais tout la déforme. J’ai compris aujourd’hui que mon présent, c’est d’être écartelée entre le passé, trop lourd, et l’avenir, trop léger. L’inconnue de l’après me retient sur les marches de Sainte-Anne. A cheval entre deux vies, je ne puis faire le deuil de la première pour céder la place à la seconde. Pourtant, détachée de ce passé, tout m’est ouvert, tout m’est possible. Je ne suis pas prête à l’entendre même si je le comprends.
Le soleil a fini par percer sa couverture de nuages pour nous caresser encore de douces et chaudes illusions.
Je crains les jours de pluie comme je crains le jour où l’on me mettra sur le pas de la porte de la réalité ou comme je crains de réitérer les mêmes erreurs, les mauvais choix. Le non-choix me transforme en points de suspension. C’est mon être qui est suspendu à ce fil de l’attente et non mon corps. Mon corps est rongé à toutes ses courbes de boules de nerfs venimeuses qui alimentent mal ma non-réflexion. Je ne suis plus que le reflet de moi-même et je ne sais plus qui ou quoi j’aime.
Et le soleil va baissant sur ma tête courbée comme trop lourde de ses pensées. Il faudrait pouvoir se laisser embraser pour embrasser cette vie nouvelle qui dans son écrin semble si simple et si innocente. Au lieu de quoi je brûle et me consume de tout bois et toute pensée. Je suis toute soupçon.

Le chant d’un oiseau vient s’enrouler autour de ronflements voisins. Ce matin aurait presque des airs de quiétude. Sainte-Anne est au ralenti des dimanche. On se rendormirait presque. Ne seraient les angoisses agglomérées au creux de soi.

Je ne veux plus savoir quel contenu a pu tenir dans cet échange sur un pont du Parc de la Villette. Aujourd’hui encore j’ai les oreilles écorchées et l’âme heurtée par la facilité avec laquelle les reproches et sentences tombaient de sa bouche. Ma Mémoire gomme aussi fort que je tâche de me souvenir. Quelques mots filtrent : « ton frère, « ton chat », « plus jamais chez moi ». Autant de bouts qui mal collés ensemble témoignaient de sa mauvaise foi et de son incapacité à se remettre en question. J’ai pris la mouche en le prenant au mot. Je lui ai donné raison au point de faire demi-tour pour prendre mes affaires chez lui et partir. Partir comme un adieu. Je ne voulais ni ne pouvais plus rien entendre. Sur le chemin du retour, ses mots se sont fait de plus en plus rares, abîmés par une rancœur et détruits aussitôt par le volcan que j’étais devenue. L’heure n’était plus à la discussion mais aux actes. Je débordais d’une bouillante colère que ma tête froide orientait vers le saut de la rupture. Il a compris trop tard. J’étais déjà partie et déjà loin dans ma tête. Et tous ses messages n’y pouvaient plus rien changer.

Je repense souvent à ce jour où il m’invitait devant la porte de l’ascenceur à ne pas hausser le ton et me menaçait ou m’effrayait disant par exemple qu’il était trop tard pour avorter. Il ne comprenait décidément pas. Je n’ai jamais remis en question ta petite vie. Tu étais toute certitude pour moi. Et ce matin encore, quand on m’a demandé quel serait mon vœu le plus cher, j’ai répondu que ce serait que tu sois encore en vie en moi.

La nuit me gagne. Je me rends à elle en cette journée d’un tout autre anniversaire aux accents de chocolat. Elle fut longue la route qui a mené à cette soirée, longue et belle. Elle m’a déroutée du quotidien saint-annien et toutes les fatigues me gagnent. Je suis enfin rendue à moi seule. Il ne s’agit plus d’être aux autres. Ni amie, ni écouté. Il s’agit de me désaimer juste pas assez pour m’accorder le sommeil. La lune presque pleine me tord le regard que je pends au brouhaha des voix qui partagent une ambiance enfêtée. Eteindre le corps, atteindre le silence intérieur.

Une cordée de noeuds s’est enroulée dans ma gorge hier, poussant de tous leurs poings contre ma trachée et les larmes hors de mes yeux. Des poings couverts de lames de rasoir venaient crever les sacs de pleurs. Le temps m’assommait qui de sa grise mine ne voulait pas passer et ne me laissait nulle place où me coincer. Le chocolat, chaud, de mon dîner et le bain, chaud, de ma soirée ont clos avec leur maigre bonté cette rude journée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire