mardi 11 janvier 2011

Chapitre 19: Te laisser filer

Des roses et le sourire de ma mère en bouquet pour cette journée fleurie par l’annonce de mon départ à venir de Sainte-Anne. Le froid glacerait presque le rose franc aux joues des fleurs. Le chauffage cogne nos cœurs affolés dans les radiateurs. Une des dernières nuits à Sainte-Anne s’entame par un léger thé et un froid mouillé et automnal. Ton absence brille trop fort de ta présence.

Le soleil me gagne tôt et vite à sa cause en cette fin de samedi. Je n’allumerai aucune planche cette nuit, je m’accrocherai à celle que je crois me rester pour me lancer dans l’aventure de la nuit en espérant un réveil plus volontaire et moins violent que ce jour. Je me dévide déjà un peu de Sainte-Anne à coup de trajets envalisée à travers Paris. La marche de ce jour fut moins rugueuse et moins longue que celle de dimanche passé. Le doute et l’appréhension planent encore souvent sur mon âme. Je crains de les voir s’y écraser piétinant ainsi la fine bulle qui entoure fébrile mon être. Frêle, oui frêle et fragile, je me reconstruis lentement sans toi une certaine sorte de vie. Un œil vers les roses pour fleurir mes paupières dans la nuit à venir.

Si rude cette journée de vêtements qui se rembobinait six mois à l’envers. Il y a six mois d’ici, je triais, pliais, rangeais les vêtements d’hiver pour leur faire comprendre qu’ils allaient devoir céder la place aux jours que je croyais beaux à venir. C’était le printemps, j’avais le sourire à la tête. Les sacs étaient encore dans l’entrée quand le téléphone a sonné pour m’annoncer que j’allais être maman de toi. Six petits mois et tout marche à l’envers. Il n’y a plus de toi en moi et il n’y a plus rien à attendre.
Le manque de mon ventre m’a rendue vorace de brioche et de chocolat. Le vide au creux de moi a poussé un peu plus. Le tri a été plus radical aujourd’hui et moins solitaire. Une mère était là et ce n’était pas moi. Chaque vêtement égrainait des souvenirs mal conçus. Autant de fois où j’entendais que tu n’étais plus là. Seules les piles de la volonté m’ont fait tenir de bout en bout. Le carnage de tissus que je laisse derrière moi me ronge lentement et j’ai eu beau faire mes valises, je ne me sens pas délivrée. Le temps n’a pas assez semé son grain qui ne pousse pas. Au bout de cette journée, j’arrive au bout de mes nerfs. Ma bulle est toute fripée et de sentir mes bagages sous moi me couve d’une large angoisse. D’avoir entendu les pleurs du petit bout de la voisine d’en face en rien n’efface, ni en moi.

Je suis tendue à un fil qui s’il est élastique m’explosera le cœur. En attendant, mon esprit hante les lieux à venir peinant à imaginer la vie des mois à venir. Plus la date de mon départ de Sainte-Anne approche, plus les nœuds gonflent dans ma gorge et la serrent, plus le temps ne passe plus dans aucun sens, plus l’envie se plie aux exigences de l’appréhension. Il faudrait quitter cette peau pour revêtir une nouvelle âme fraîche et forte, une âme mentholée. Le peau de mon âme est grise et déchirée et trouée et sèche. Plus rien ne peut vraiment y pousser depuis toi. La confiance n’y germe plus. Respirer grand, souffler loin et laisser le corps s’échapper dans le sommeil.

L’air est doux malgré l’humidité. Il est à l’attente plus ou moins impatiente. Les dernières à Sainte-Anne sont éternelles dans leur durée. A peine le vol d’un rouge-gorge en transversal du jardin. A peine un geais qui se pose sur une chaise de fer forgé blanche. A peine une rose complice glissée dans la main tel un cadeau. A peine un rayon mielé de soleil dans l’échancrure du jardin. A peine un r de faits. Tout va et moi avec. Je me délasse dans les lacets muets des mots en attendant de me rembobiner pour bouger sur la même cadence que ces deux derniers jours. Quelques rares larmes se sont nichées au creux de l’œil et ne s’en laissent déloger. La fatigue des nerfs m’accable dans un fauteuil mal soigné. L’air de mon visage est quelque peu triste mais il est doux malgré l’humidité.

Quand je suis sortie de Cochin ce matin-là, l’air avait une texture nouvelle au grain de ma peau. D’avoir connu ton cœur et d’en avoir si peu dormi me nourrissait de plénitude et de bonheur. J’ai glissé mes pas dans le square qui mène au Luxembourg. J’ai choisi un coin sans angle où je me suis enroulée dans une chaise. Tout à coup, le temps m’était précieux et je n’avais plus mal d’être seule, j’en jouissais. Chaque seconde posée dans ce coin de jardin devenait perle toute nacrée d’émotion.

Sainte-Anne ensucrée et ensuccée. Les sacs à larme sont vides. Aucune douleur n’est faite signe extérieur. Elle est lovée en mon sein, dans sa boule-oursin tout au long du dedans de mon cœur. Pas d’adieu en larmes ou en crise. Un simple départ lacé de merci. Un simple au revoir non-dit. Et Sainte-Anne redevient corps étranger dont je me vois expulsée vers une autre réalité, un autre état spacio-temporel. L’angoisse à l’heure prend encore pour objet la logistique : les horaires, les nombreux bagages. Avec mon départ de Sainte-Anne se pose aussi la question : suis-je guérie de notre histoire ? Quand faut-il l'arrêter de cultiver notre passé ? ai-je le droit de te laisser filer ?

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