mardi 11 janvier 2011

Chapitre 3: Les livres oubliés


Mon corps est malade, ce matin. Je le tire derrière moi. Il est si lourd bien que creux. Parfois il me semble que je n’ai jamais vécu avant Ste Anne, que tout est imaginaire. Je ne sais plus trop ce qui relève du réel. De toute façon, je ne le trouve pas beau. Il me ronge. Il est d’autant plus hargneux aujourd’hui qu’il bouscule mon précaire équilibre, puisqu’il libère ma compagne de chambre à sa vie en société, hors Ste Anne. C’est comme des lambeaux de moi qui voudraient se laisser arracher pour sortir par les yeux. Je les vois tous partir et moi je reste. Parce que je ne peux pas partir. Je ne suis faite que de morceaux pas bien collés ensembles. Que l’on ne me touche pas, ils se déchirent et se détachent et me défont. Je ne peux pas coller ce qui reste de moi assez fort pour que la société ne l’anéantisse pas. Je suis toute tissée de souffrance et de doutes et de peurs. Il m’aurait fallu non-vivre. Pour ne pas avoir à ressentir ou sentir si fort.

A la deuxième nuit que nous avons passeé ensemble, des signes m’ont alertée. Tu ne le sais peut-être pas, mais je ne tranche que rarement. D’autant plus quand il s’agit de l’humain, de personnes. Je me suis dit que mon hypersensibilité m’amenait à voir des signaux là où il n’y avait qu’une phonétique particulière, un code linguistique différent. J’ai pleuré mes larmes pour ranger cette fameuse sensiblerie dans des paquets jetables et j’ai douté, impuissante. Ma non-volonté, mon incapacité à décider ont achevé de me condamner à rester cette nuit-là. Il était si tard, il ne devait pas avoir pensé ce qu’il avait dit. Ce n’était sûrement qu’un glissement de langage, une mésentente disgrâcieuse typique des couples débutants. L’objet du délit : une brosse à dents absente de mon nécessaire.

L’après-midi est chaude et je traîne toujours cette fatigue qui me sert de corps. Sortir de l’enceinte, c’est un frisson. À peine passé le mur naît l’urgence, qui va grandissant, de se retourner, de faire demi-tour. Pour être dans la norme. Pour arrêter de voir ou de devoir regarder les mouvements des Autres, qui ne savent tellement pas leur bonheur que l’on aurait presque envie de leur faire mal pour leur faire comprendre, leur faire réaliser. C’est alors le moment des sottises à tout prix. Il s’agit alors de saisir la légèreté ne serait-ce que pour une seconde. Mais c’est comme attraper le vent, comme prétendre te connaître.
 L’étrange c’est que depuis toi, je ne suis plus moi. Mais l’ai-je jamais été.

Cette nuit-là, plus tard, quand j’avais déjà lâché prise et alors que je ne savais pas encore que tu étais là et que j’allais te perdre, j’ai eu un premier indice de ta présence. C’était étrange. Mais je ne l’ai pas relevé. 
J’ai aussi appris alors à quoi ressemblaient sa vie et son chez-lui. 
Il m’avait dit déjà avant que le fait que je partage mon appartement avec mon frère lui posait problème. Ça avait été dans un bar antillais, près de Bastille. Nous étions à l’étage et sirotions le charme qui nous envoûtait et un peu de rhum. La soirée s’est terminée bien trop tôt. Là aussi j’avais un livre sous le bras que j’ai posé près du bar et oublié en partant. Nous sommes donc revenus sur nos pas pour le récupérer. Il m’a dit alors que jamais il ne me prêterait de livre : cela faisait la deuxième fois que j’oubliais mon livre. Ce qui, pour qui me connait, ne me ressemble pas.

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