mardi 11 janvier 2011

Chapitre 20: Incohérence à la vie

Je laisse défiler sous mes yeux les couleurs de l’automne attachées aux arbres. Tu n’as jamais connu la couleur des choses ni leurs contours ou leur parfum. Pour toute vie, tu auras connu la mienne du dedans. Ta réalité, c’était cette poche chaude qui se gonflait et dégonflait régulièrement selon la pression exercée sur elle.


Je suis criblée des clous du voyage qui m’amène si loin de Sainte-Anne. Ma seule compagne est la fatigue. Du train, je n’ai vu que le sommeil, greffée que j’étais à ma boîte à sons.

Ce voyage m’en rappelle un autre, celui qui nous a emportées dans la fête familiale des Vosges. Il avait fait l’objet d’une dispute avec ton père : je me posais la question d’annoncer la bonne nouvelle à mes parents et des circonstances. Ton père avait été heurté de ce questionnement que je partageais avec lui. Il regrettait fortement que je n’aie pas pris tant de gants et tant de temps de réflexion avant de lui annoncer ta présence. Pour lui, les circonstances de cette annonce et mon impatience à la partager avec lui ne suffisaient pas à justifier mon action irréfléchie de le lui avoir confié par le biais du téléphone. Il avait un comportement très ambivalent avec le téléphone : à son oreille, toute chose importante se devait de se réaliser de visu. En même temps, durant les trois semaines où j’ai été alitée dans l’angoisse de te perdre, il prétendait que le lien téléphonique suffisait à justifier de son soutien et de sa présence à mes côtés. Les seules fois où je l’ai vu, c’était aux urgences de l’Hôpital Cochin, aux urgences de Port Royal, lorsque je saignais tant que je croyais te perdre. Ce sont les saignements qui m’ont fait revenir sur ma décision que je croyais définitive. La peur, l’angoisse, le besoin de partager, d’être soutenue m’ont bousculée jusque dans ses bras, des appels au secours plein la bouche. Lui n’a jamais eu peur de perdre, il prenait ces signes comme une fatalité, ne cherchait pas à interpréter ou se battre. Il acceptait tout ce qui te concernait comme un état de fait. J’en étais bien loin. Je te savais si frêle, si fragile. Et je me savais une petite nature. Dès que j’ai recommencé à saigner, la notion de perte a planné sur moi, vorace et sans retenue. La notion de fragilité planait déjà sur moi lorsque nous avons entrepris en famille ce voyage en voiture pour rejoindre mes parents et leurs proches et fêter leurs soixante ans. Le trajet en voiture m’était déconseillé et j’avais pris nombre de mesurer plus ou moins discrètes. La couette qui me servait de coussin mentait mal les évidences. A l’issue de ce week-end, le secret n’en était plus vraiment un, mais il était gardé. Je ne saurais te décrire l’émotion de tes grands-parents et de ton deuxième oncle : un mélange de surprise et de joie mais surtout de l’intensité et de la sincérité dans la réaction. Ce bonheur-là du partage a bien vite été terni. Une mauvaise nouvelles est venu plomber le nuage harmonieux dans lequel nous flottions, l’annonce du décès du père de ton père.


Quel temps fait-il sur Sainte-Anne. Je crois qu’il y pleut. Ce soir, le soleil dorait les armures des arbres. Et je suis désarmée. Le temps joue au yoyo avec mes nerfs. Il me triture les pensées et les ressentis.


Jour de pluie sur le château, les quelques habitudes prises ces derniers jours se voient tout ébouriffées. Difficile sous cette pluie de les arranger, elles forment des boucles dans le temps et me font tourner en rond. Le ciel m’était si lourd au cœur hier soir. J’ai confondu un éclair de sincérité avec un simple rayon de lune. Aujourd’hui il pleut donc partout. Dans les couleurs miel de ce salon où j’écris, je me demande quelle aurait été la couleur de tes yeux et quelles nuances aurait retenu le grain de ta peau. Quand je tente un retour vers une certaine réalité, une déception m’attend au coin de la page suivante ? Je préfère encore rester dans le souvenir de toi qui ne peut plus me décevoir. Mon incohérence à la vie me laisse comme déplumée face aux rigueurs et aux tricheurs.

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