mardi 11 janvier 2011

Chapitre 18: Si petite noix de vie

Sainte-Anne avait promis la pluie et le froid. Le froid nous a tordus du dedans et la pluie bruisse enfin ce soir dans les feuilles des marronniers. Goutte à goutte, les secondes passent qui nous apportent la nuit.

Des rayons découpés plissent les yeux de soleil. L’amertume de la bouche rejoint l’amertume du cœur. Frustrée, c’est être en dedans derrière des barreaux collants qui déchirent à chaque approche de souvenir. Sainte-Anne avait de faux airs de fête hier au soir, engrainée de gâteaux et de fleurs. Et ne pas dire le reproche ou plutôt la grinçante souffrance pour ne pas faire mal à l’autre.

Ma peau se rappelle encore le touché de la sienne et vibre encore à quelques accents de voix qu’elle reconnaît intimement. Je l’ai aimé à m’en désaimer si fort que je n’ai pu t’aimer assez pour te sauver.

Les semaines que j’ai passées crucifiée sur le canapé dans l’attente d’un regard, de la rencontre de visages et de la seule bonne nouvelle que je pouvais entendre. Des semaines qui touchaient à moins l’infini et qui me laissaient pendue à leur verdict. Ces semaines lourdes de ta semi-présence étaient creusée par son absence. Seul le grain de sa voix troublée par le téléphone m’atteignait. Mais une graine ne suffit pas à soutenir. Il n’est pas venu. Il avait un chevalet d’excuses. Et la graine de la déception vite se développait. eE que tu ne sais pas c’est ces semaines de décollement entre toi et moi, entre lui et nous ont débuté après mon partir vif, consterné et définitif. Définitif, je croyais. Mais quand j’ai saigné de toi trois jours après, j’ai cru te voir partir et mon départ de lui m’a rendue en question.

Sainte-Anne m’a livré une nuit et une journée de maladie. Mon ventre me fait souffrir et m’en devient étranger. Le vent souffle plus fort désormais et j’ai encore changé de voisine de chevet. Toute feuille, je tremble et m’enroule de couverture et de laine. Le jardin est plat comme un tableau devenant d’automne. Toujours la même voix qui au loin crie et se plaint.

La toute première fois que j’ai saigné de toi, c’était au tout début de la grossesse. Une à deux semaines après la nouvelle. Je venais ce jour-là d’obtenir les résultats de la toxoplasmose et devant prendre mes distance avec mon chat, j’ai décidé de mettre mon frère dans la confidence. Je lui ai demandé ce qu’il dirait de devenir tonton. Je crois que jamais herbe n’a été aussi bien coupée sous le pied. Le même soir, je me suis disputée pour une pécadille dont j’ai effacé l’essence avec ton père au téléphone. J’ai dit des mots que j’ai ensuite souvent regrettés : peut être que ce n’est pas une bonne idée de l’avoir ce bébé finalement ». Comprends et entends-moi bien : ce n’était pas toi le problème mais tous ces cailloux qui se glissaient déjà sous nos semelles.
Dans la nuit j’ai saigné. J’étais toute négation, refus et furie. J’ai composé le numéro de SOS Médecins dont la téléphoniste a achevé de m’inquiéter en utilisant les mots tabou qui planaient de leur grande ombre sur mon esprit et dans mon corps : fausse couche. J’ai appelé ton père pour le prévenir. Il ne jugeait pas utile de se déplacer et déjà son discours était toute fatalité. Comme n'ai-je pu ne pas entendre l’indifférence voir la cruauté que sons non-action impliquait ? Je n’ai pas voulu que mon frère m’accompagne, ça n’était pas sa place. J’ai appelé un taxi et suis partie seule aux urgences pour affronter ce moment de vérité. L’angoisse de l’attente n’est pas dicible. C’est là que j’ai entendu battre ton cœur pour la première fois.

Les dahlias du jardin peinent de jour en jour à porter leurs lourdes têtes. Quelques rosées défient encore le ciel en s’élançant de leurs tiges et de leurs épines dans la fragilité de l’air. Le soleil nous ment encore parfois. Pourquoi préfère-t-on parfois croire aux mensonges ? Les frissons du réconfort sont tus par ceux du froid et d’un corps désaimé. J’essaie toujours de retirer une à une les épines de mon âme.

Pas de vent en ce vendredi, juste ici et là un souffle annonce une averse. Je me sens encore toute déglinguée du dedans. Un geais dans les pieds des rosiers picore.

J’ai entendu et vu ton cœur battre dans cette longue nuit à Pompidou qui ne m’a apportée que de bonnes nouvelles tout en m’encourageant à me rendre à Cochin pour vérification, confirmation et inscription à la maternité. Ainsi le problème du choix et de la place en maternité a été résolu. Les jours précédents, j’avais essayé avec acharnement et force d’arracher une place en maternité à Necker. Mais comme tu étais en moi depuis six semaines, tu ne rentrais plus dans les cases des délais prévus. Que d’échanges téléphoniques et de pression pour trouver un endroit où te donner le jour. A Cochin, tout a été simple, depuis le début et toujours. Quand je suis allée le lendemain de cette nuit si riche où j’ai reconnu ton battement de vie avant qu’on me le dise, j’avais déjà obtenu deux rdv à Cochin pour l’inscription administrative et l’inscription médicale. Comment aurais-je pu me douter que je te perdrais entre les deux ? J’étais fébrile et soulagée, écartelée entre l’envie de partager tout instant de ton devenir avec la lenteur et le besoin de voir passer le temps vite pour que ma grossesse ne soit plus petite et que ce premier souci de toi soit enlevé.
Je ne savais pas que ce souci de toi ne tarirait pas, qu’il évoluerait simplement et grandirait au fur et à mesure avec toi. A Cochin, ma fébrilité se lisait dans mon attente. On m’a refait une prise de sang et refait une échographie où j’ai à nouveau vu et senti ton chamailleur battre.
On ne m’a pas dit ce qui se passait, on m’a juste rassurée et conseillé de lever le pied voir les deux.C’est après que j’ai su que ces premiers saignements étaient ceux d’un premier décollement de placentas. De ne pas le savoir m’a protégée de l’anxiété et j’ai fait bruisser ma vie plus doucement pendant la semaine qui a suivi. Ton cœur battait si fort. Je l’entends encore et je me rappelle qu’à Cochin, ils avaient eu du mal à te trouver. Tu te cachais, petite polissone. J’ai aimé intensément ce petit trait de caractère de toi. Tu jouais à cache-cache avec la sonde et tu as profité d’un de mes rires pour aller te cacher plus haut encore sous mon nombril. J’aimais déjà ton indiscipline, je me reconnaissais un peu en toi. Etrange sensation car je te sentais moi et à la fois autre. Tu étais déjà si autonome dans tes mouvements au sein de moi. Tant de si pour une si petite noix de vie.

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