mardi 11 janvier 2011

Chapitre 9: Ne pas voir les lettres pleurer

Atelier dessin, je viens de t’éteindre en moi, j’ai brûlé l’image que j’avais tracée de toi. Toute la flamme qui me ronge encore dedans ne saurait se résoudre dans tes cendres. Je t’ai dans l’âme et l’amour qui me brûle de toi ne s’éteindra. Il peut pleuvoir toutes les larmes des corps sur Sainte-Anne, la flamme que tu es devenue au creux de moi, je ne saurai jamais assez la pleurer, l'arroser.

Un étrange automne s’annonce dans les vagues du feuillage. Lasse, je suis lasse. Je tire le volet sur cette journée à une heure trop peu avancée pour le pelotenage des êtres dans leur cocon nocturne. N’étant que la moitié de moi-même, cela ne me gêne que peu.

Je ne sais plus quoi penser de ce week-end à Trouville qui a débuté et s’est terminé comme un compte de fait, plutôt qu'un conte de fée. Deux moments de bonheur bourdonnent encore en moi.
Le soir de l’arrivée, nous sommes allés rejoindre les planches de Deauville, puis, les yeux dans le noir d’une mer délicate, nous avons savouré le pique-nique que j’avais préparé. Il m’a dit alors qu’il aurait préféré que je lui annonce ta présence dans ce moment féerique plutôt qu’au téléphone. Il ne comprenait pas mon impatience, ne l’avait jamais comprise.
Le deuxième moment, c’était au réveil du dimanche, après une soirée qui n’en était pas une et une nuit aussi noire que mes pensées, je l’avais convaincu de ne pas rester sur la fausse note de la veille où ce qu’il avait eu le plus de mal à supporter avaient été mes larmes publiques. Au petit matin, nous sommes allés contempler les vagues à la verticale desquelles courraient des joggers ensablés. Nous avons là aussi renoué le fil de la parole et j’ai réellement cru que ce conflit nous rendait forts ensemble. De plus en plus de grappes de personnes se rassemblaient autour de nous. Cela nous arrivait souvent, comme si nous les aimantions. Quel mot ai-je utilisé alors ? Ah oui, quelque chose comme : « tiens, ils ont déjà élevé un mémorial en notre honneur, ils auraient pu nous inviter ». Cela eut le mérite de le faire rire. Il ne voulait pas alors que nous parlions d’amour entre nous.

Sainte-Anne, en glaçon vert mais étincelant, dans le sommeil du matin. Per-mission coiffeur validée pour aujourd’hui. Fébrilité et fragilité me scrutent, me sculptent.

Quand le soleil vient allumer le haut des arbres, je sais que l’heure est mauvaise en moi. Quand reverrai-je des sourires refleurir dans le creux de mon âme et de mes lèvres ?

Il avait écrit sur le sable nos prénoms additionnés. J’ai voulu les faire suivre d’un cœur, il a férocement refusé, disant que je ne pouvais pas parler à sa place et que lui ne m’aimait pas encore. Il lui manquait un petit quelque chose pour être enflammé du dedans. Quand il a dit cela, il savait déjà que tu étais en moi. Ce non-cœur a déchiré un peu plus le voile qui se tissait autour de nous. J’étais comme debout sur ce lien de mon regard à son visage, funambule ivre d’amour solitaire. Mais là encore je gardais l’équilibre.

Lorsque j’ai abordé le souvenir de la nouvelle que je lui avais annoncée quelques semaines plus tard, nous étions au Mac Do et je faisais le tri pour trouver ce que mes nausées et mon régime me laisseraient manger. Je devais partir peu après pour les Vosges et la fête des 60 ans de mes parents. Comme mon autonomie lui était incompréhensible, j’ai voulu prévenir plutôt que guérir en lui demandant son avis. Devais-je annoncer la grande nouvelle de ta présence lors de cette rencontre familiale ou valait-il mieux attendre encore un moment mieux approprié en petit comité ? Les membres de ma famille n’allaient-ils pas se douter de quelque chose ?

Ce soir aussi je doute. Et malgré les langues de vent dans les feuilles, je n’entends ni ne reçois rien. Mon cœur est en berne et mon corps m’insupporte. Je ne voudrais que du sommeil ou trop de soleil. Mais surtout une mer de silence pour m’y noyer et y entendre encore les coups de ton cœur.
Le dahlia est toujours là au centre du bosquet de fleurs, comme pour me confirmer que le temps ne passe pas. Cet œil en feu au milieu du vert ne fane pas encore et encore il regarde les Saint-Anniens se consumer dans leur douleur et l’hébétude des médicaments.
Plus qu’un trou de lumière verte dans les profondeurs du jardin. Le vent joue des vagues dans les feuilles invisibles. La médicamenterie opère en toute langueur. La nuit est longue quand elle ne nous endort pas.

Soleil-sommeil. J’ère entre les deux, une forme de rage me ronge. C’est elle que mon corps aurait dû expulser, pas toi. Il y a des mots qui sont faits pour briser, rompre à nu, d’autres enligotés dans leurs phrases n’attendent que d’être dénoués par l’écoute pour vous sauter à la gorge.
Le ciel hier avait la varicelle. Son grand corps gris était couvert de boutons bleus. Ils ont fini par dégringoler et j’ai rangé mon cahier pour ne pas voir les lettres pleurer.

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