mardi 11 janvier 2011

Chapitre 10: La violence rongeait

Il y avait une exposition dont l’affiche dans les couloirs du métro avait retenu mon attention. Je lui ai fait part de mon intention de la visiter dès que nous nous sommes rencontrés et il avait fait montre d’un enthousiasme certain à m’y accompagner. L’exposition s’intitulait « Les peintres de la Lumière ». Nous avons essayé d’y aller une seule fois, mais le Petit Palais était exceptionnellement fermé. Une fois. Toutes les autres, lui trouvait des non-occupations plus importantes comme la nécessité de dormir le jour ou celle d’avaler à grandes doses des litres d’informations qu’il régurgitait recouvertes d’une acidité qui rendait grave et important ce qui n’était qu’aléatoire et nous laissait impuissants.
J’ai voulu y aller seule. Il ne comprenait pas. Que je puisse vouloir faire des choses seule plutôt que de rester à ses côtés, même à ne rien faire. Je n’entendais plus mon rythme ni mes besoins. J’étais en arythmie constante et je passais des heures dans les transports à me dépêcher de le rejoindre pour ne rien pouvoir faire avec lui. Si ce n’est un resto ou une ballade, en fin de journée. Mon âme n’avait plus de régime équilibré. Elle ne se nourrissait que de cet amour naissant en lui et présent en moi. Pour lui, cela relevait de ma responsabilité, il ne tenait qu’à moi de me débarrasser de mon colocataire et de mon chat, pour des raisons différentes bien entendu.
Après, bien après, il m’a écrit que je l’étouffais.

Le soleil vibre sur nos peaux médicamentées. On voudrait qu’il illumine jusqu’au profond de nous et on sent fondre nos âmes chocolatées. Le silence est précieux et rare. Il a de beaux reflets.
Les visites se font plus variées, mais plus rares.

Il me manque.
Il me manque la fraîcheur matinale des pas qui dégringolent dans le métro.
Il me manque la douceur chocolatée du petit pain avalé aux premières heures de bureau.
Il me manque la démarche souriante de mon voisin.
Il me manque des langages de bruit avec mon chat.
Mais surtout, il me manque.
Malgré. Malgré. Il me manque tant.
Et plus j’avance et comprends tout ce qui n’allait pas, plus je me souviens de mon désir affectueux à son égard sans mieux le comprendre mais en le prenant toujours avec moi au creux de mon ressenti. Je déteste qu’il me manque mais il ne cesse pas pour autant de le faire.

Je découpe des triangles et des losanges de bleu dans le ciel pour les coller côte à côte dans les bras du soleil. A force de les détacher, le fond gris et mauvais du ciel vient à la surface écrasant le bleu et le soleil sur son passage.

Le ciel, aujourd’hui, propose le même programme qu’hier sur Sainte-Anne. Il accentue encore le manque de chaleur humaine. Je ne sais plus rien du contact de deux peaux. Juste un souvenir sournois qui me glace du dedans et me fait confondre le manque de lui avec le manque de vie.

Nos peaux s’aimaient tant. Elles se cherchaient sans cesse. Notre amour conjugué au physique nous éclaboussait de bien-être et de bonheur. Nos corps s’étaient trouvés si vite. Je n’en écoutais plus ma tête. Le lien entre nous s’est vite noué de nos corps. Tu es non-née d’un amour charnel et encharmeur. 
Je n’en finis pas de me dés-aimer de t’avoir perdue si tôt et si mal.

Pour cacher mes larmes qu’il ne supportait pas et la douleur que la virulence de sa réaction avait arraché à moi, je suis allée me réfugier dans les toilettes à jeton du fast food. J’ai pleuré mon lot de larmes amères et suis ressortie les yeux secs. Il n’avait pas tort dans son reproche : je consacrais effectivement plus de temps et de pensées à l’annonce que j’allais faire à mes parents que je ne l’avais fait avant de lui annoncer qu’il allait être papa. Je ne saurais décortiquer le pourquoi. Cela tient plus à mon essence. Un alliage de sincérité et de spontanéité m’avait laissée être moi-même, naturelle avec lui. Là, dans ces toilettes, j’ai compris entre les mots qu’il n’aimait pas une partie de mon être. Je n’ai pas eu besoin de m’arracher des larmes, elles ont coulé d’elles-mêmes et je suis ressortie les yeux secs et le cœur fendu. Je lui ai demandé pardon d’avoir si peu réfléchi en amont de l’annonce de ta présence. Il a renchéri, rajouté une couche d’acidité sur mon cœur à vif. Les mots qu’il a choisis ne me viennent plus. Je vois nos bouches parler, je retrouve nos mouvements secs et heurtés mais je n’entends rien. Ma mémoire a gommé ses phrases mais pas mes supplications. Je le priais d’arrêter d’une voix-cri brisée et cassante. Ces images qui viennent encore si souvent se coller à mes rétines ont le rouge du fer marqué au front. J’avais beau supplier, il n’arrêtait, ne stoppait pas. Une avalanche, une cascade de cruautés se déversait de lui qu’il accompagnait de l’exigence de ne pas pleurer en public ou se donner en spectacle. J’en étais paralysée en moi-même. Bousculée, assommée et déchirée, je devais entendre et ne rien dire, rien signifier. J’avais juste à emmagasiner cette souffrance de lui.
Il montrait une telle indifférence dans ces moments à mon égard, à la portée que son comportement pouvait avoir sur moi. Plus de lien, le seul grain qui se glissait en tout était le germe de la violence. La violence ainsi s’enroulait et s’emmêlait à ce premier lien de lui à moi et le rongeait lentement.

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