mardi 11 janvier 2011

Chapitre 14: Ce froid qui me vit à distance

L’œil d’un poisson me dévisage mort d’une assiette voisine. Le temps est d’un gris épais. Il faudra bien l’épaisseur d’un chocolat viennois pour parfumer en tendre l’humeur qui me transperce. Les premières bouchées sont poudrées mais vierges. Je les avale goûtesement. Après la chantilly se prend les pieds dans le chocolat et je les marie chaleureusement avant de les envoyer vers mon estomac. Les plaisirs de la bouche me reviennent peu à peu avec un arrière-goût « d’à quoi bon ? ». Retrouver le bout d’un fil dans la pelote de nerfs que je suis devenue n’est pas une mince affaire d’autant qu’il semblerait se nicher dans l’estomac.

J’ai rêvé de toi cette nuit : je revoyais tes petits doigts de tes mains de dentelle et le petit bonnet en coton qu’ils avaient enfilé sur ta petite tête. Je me revois te toucher. Dans mon rêve, cela te faisait grandir et t’éveiller. Mais même éveillée, tu étais sereine et sans vie. Ce que je n’ai pas vu ou su de toi, ce sont ton regard, tes yeux et ton sexe. Ils resteront indéterminés et tu resteras une fille. J’ai si mal de n’avoir pu contribuer à te grandir, à te vivre, à vivre. Comment s’y résoudre.

Le soleil découpe en transparence des feuilles de marronniers et se love sur la chaise blanche du fond du jardin. Le ciel traîne son petit troupeau de moutons au sein d’un bleu Matisse. L’air est glacé comme un dentifrice à la menthe ou une chewing-gum mentholé.

En ce samedi, de douche en douche, la matinée s’éternisait. Je revois encore son corps sous l’eau savonneuse. Il était outré de mon non-goût pour les Pink Floyd. Il chantonnait des mélodies que j’étais sensée identifier.
A la simple idée de son corps, le désir remonte en moi. Je le dévorerais encore. Je ne m’en lassais pas, quand les circonstances s’y prêtaient. Ce matin-là, le rythme était à la langueur et mon impatience à la piscine. Quand nous avons fini pour la première fois depuis que nous nous connaissions, par nous retrouver à l’entrée de la piscine, elle venait de fermer. Ah oui, je me souviens aussi que j’avais les pieds en miettes. Les traînant derrière nous, nous avons improvisé une nouvelle activité, des courses pour fabriquer une salade de mon invention que j’avais nettoyé et préparé de mes mains et que je pouvais donc manger. Mais avant d’obtenir l’autorisation d’être mise au coin cuisine, il a voulu nettoyer. Pendant ce temps, tu me triturais l’estomac. Je crois que je n’ai jamais fait ni mangé une meilleure salade de ma vie. J’avais une telle faim de fraîcheur. Il a bu un peu de rhum en guise d’apéritif. Nous devions ensuite, après le dévorage de salade, aller nous promener de l’autre côté du canal, du côté que je ne connaissais pas. Un côté qu’il me démangeait de découvrir.

Je baigne dans les rayons et le souffle. Et je souffle. L’épreuve de rentrer est rude. Rentrer chez soi, je veux dire. Il était plus facile de se poser en agréable compagnie au détour d’un café. J’use mes yeux sur les objets et les parois de ce lieu qui n’est plus mien depuis que j’ai voulu définitivement le quitter. L’appréhension de m’y rendre m’a jetée dans les bras de quelques achats compulsifs. Me voilà doublement punie. Seule une réconfortante présence me restera au souvenir. Posée dans l’angle préféré du soleil en fin de journée, je me heurte aux roses fanées. Elles n’écorchent que mon regard. Je suis tout entière une simple blessure endimanchée. Et ce soir encore j’aimerais nourrir malgré le soleil qui s’accroche à la blondeur de mes cheveux et perce mon œil mal éteint. Oh maintenir encore un peu la morsure de ce froid qui me vit à distance…

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