mardi 11 janvier 2011

Chapitre 15: Muselée par mon amour

Au sortir de l’appart’, les volutes de bruits et de mouvements m’enivrent. Marcher debout, tenir droite, juste un mètre de plus supporter cette usure de l’être, ce mal respirer comme s’il n’y avait plus d’air au milieu de cette rue de tous ces gens. Une fois de plus, l’agression de mon foyer m’est sautée à l’âme en passant surtout par les yeux. Il faudrait pouvoir tout gommer, tout jeter. Plonger dans l’amnésie et une vie neuve où l’usure n’aurait plus sa place ni les souvenirs. Le réveil des mauvais matins m’a rendue encore à mon lit après le petit-déjeuner. Après cette deuxième nuit, le soleil a eu le temps de faire une beauté au jardin. Je me suis enrobée de noir pour fondre mon humeur dans mon allure. Les quelques larmes d’hier au soir n’ont pas suffi à liquider en moi la violence que je me suis infligée en rentrant chez moi. J’en suis sortie en sentant que je n’étais plus de nulle part et encore moins de ce lieu que j’avais mis tant de temps à harmoniser avec mes états d’être. Et puis j’étais assommée par ces pièces surpeuplées d’objets et de souvenirs. Comment deux êtres peuvent-ils ne pas s’envoler face à cette masse virulente et violente qui vous hurle au visage votre propre légèreté et votre impuissance pérenne.

Sainte-Anne joue à Cluedo ces jours-ci. Le but du jeu étant de découvrir qui ira dans quelle pièce avec quel colocataire ou encore qui quittera quand le pavillon. A ce jeu-là, nul n’est vraiment gagnant. A qui vais-je perdre ce soir ?

Nous parlions et il s’est installé sur le lit. Pour garder le fil de la conversation de nos regards, je l’y ai suivi. Sa tête était à dormir, j’étais rongée par un besoin de m’aérer nos petits cœurs. Il a entamé un assoupissement. La tension du fil s’est enroulée toute au creux de moi, tendue vers rien puisque plus vers lui. L’air me manquait plus fort encore. J’avais nos cœurs au bord des lèvres. J’avais besoin de respirer par les jambes, de bouger hors les murs.

Comme un lion en cage qui ne cesse de vouloir se mordre lui-même, je me suis heurtée à tous les angles de mon être sous la raideur des rayons du soleil et la froide brûlure du vent. Les mots se bousculaient à mes lèvres et caracolaient parfois têtes bêches sur ma langue qu’aucune cigarette n’asséchait assez. Aucune limonade, aucun Schweppes agrumes n’est venu à bout de cette flamme de rage dont je suis le foyer et la cible. J’aurais dû finir cendre de tant brûler. Je ne savais que fuir de moi où me ranger, où me poser. Pas de case où me plier. Je ne faisais que me délier de toute consistance et me déplier en me désenroulant dans des lambeaux de moi.

Quand il croyait avoir raison ou que les faits lui donnaient raison, il en devenait insupportable d’insistance. Quand il s’est lancé dans le sommeil cet après-midi-là, je lui ai dit mon besoin de sortir avec de petits mots mal assurés. Il m’a prié de rester en des termes auxquels je ne pouvais résister entachés de la souffrance du deuil de ses parents, une inconnue qui lui servait d’alibi ou d’argument et qui ne pouvait que taire et éteindre tout esprit d’échange entre lui et moi. Fidèle à ma crainte de rupture dans l’harmonie de cette frêle journée et à ma dés-envie de blesser, j’ai cédé à sa demande. Je me suis accrochée aux lettres du livre qu’il m’avait offert pour veiller sur sa sieste et couver ma colère que je croyais contrôler en le ménageant. Mais céder ne lui donnait pas raison. C’est de s’aider qu’il s’agissait. La phonétique avait pris le pas sur la grammaire que nous partagions si mal. D’autant que mon langage était muselé par mon amour.

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