mardi 11 janvier 2011

Chapitre 4: Dans le creux de l'air

Les nuits à Sainte-Anne peuvent être à la fois trop longues et trop courtes. Trop longues de tous les rêves qu’elles charrient dans leurs eaux nauséabondes. Trop courtes du peu de sommeil réparateur qu’elles veulent bien ou plutôt mal donner. J’ai beaucoup pensé à toi hier. La souffrance de ton non-être, je crois que je commence à vivre avec.

Quand il me souriait, quelque chose d’indéfinissablement émouvant se produisait. Un coin de ses lèvres se levait pendant que les paupières chastement se baissaient. Cela me donnait le goût profond de l’enlacer et de le picorer de petits baisers. Ce que je n’osais pas trop faire au début. De peur d’effrayer le papillon de son sourire et qu’il s’envole. Quand ses paupières se baissaient, c’était souvent sur nos mains communes. Dans ces moments-là, nos cœurs se parlaient et se comprenaient si bien. J’ai encore parfois des bouffées de ses sourires qui me reviennent, ceux qui me faisaient tout oublier, tout pardonner et m’effaçaient dans un silence béat. Je l’aimais jusqu’à m’en désaimer.

Sainte-Anne a invité le vent pour donner à ce dernier mardi d’août l’odeur de l’automne. Des relents de bronchite et de sommeil m’ont transformée en escargot toute la matinée. Et l’on n’arrêtait pas de dérouler, des fils, des câbles, des tissus, des linges autour de moi. Bientôt, plus de coquille, ne restera que l’âge avec ses transports de temps perdu. Un soleil aussi boudeur que moi joue de coquetteries. Il a été tant ,par tant de personnes, qu’il peut tout se permettre. Du moment qu’il me laisse ranger mes idées sur le papier dans le jardin.

Souvent et beaucoup, nous nous sommes vus le soir, pour voler quelques heureuses heures où je me pendais à son sourire comme une virgule à un mot. Ce mot-là, c’était lui. Il était déjà presque tout pour moi. Nous discutions, tout y passait: de la politique à la littérature en passant par le campus de Grenoble et sa résidence Berlioz et notre peur commune face au futur du pays dont nous partagions l’appartenance. Argumenter avec lui n’était pas chose facile. Ses démonstrations relevaient des mathématiques et devant elles mes impressions mal répertoriées et nourries d’intuition faisaient piètre mine. J’avais si peu de certitudes, les lui transmettre?: un pari quasi impossible car mon esprit mal rangé ne trouvait que rarement les raisonnements adéquats ou adaptés.
Je retrouvais en même temps les plaisirs de la joute verbale de mes vingt ans, lorsque j’allais à l’université où j’aurais pu et ai dû le croiser. Toutes ces bulles de savoir qu’il me soufflait à l’oreille faisaient jouer des claquettes à mes neurones et emballaient mon cœur d’un câlin de soie. Comme toutes les bulles, elles finissent d’exploser leur arc en ciel et leur transparence dans le creux de l’air.

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