mardi 11 janvier 2011

Chapitre 6: Mimer l'oubli

Avant de le voir, j’avais rencontré sa voix. C’était la douceur faite fluide et mâle. Elle vous coulait partout dans les veines et s’enroulait jusque sous la peau en frissons aisés et délicats. Cette première rencontre orale avait été profondément légère. Elle nous avait laissé goûter à ce "nous" à venir. J’en ai encore les traces en y pensant. Il te parlait déjà parfois, voulait t’inventer des mélodies. As-tu connu la cadence de son parler et le crémeux de sa voix ?

Sainte-Anne est noire. Le vent souffle sombre, prometteur de nuit et de fraîcheur. Les lampes s’éteignent avec assiduité. Les couvertures enroulent nos corps de chaleur. Les derniers mots vont bientôt être dits. Les pensées continuent de tourner et virevolter dans le monde parallèle de la nuit.

J’ai cru que son sourire en coin était signe de connivence et j’aimais à laisser mon regard caresser le grain de sa peau quand il finissait son sourire en baissant les yeux. Mais il était complexe. À ce jour, je ne l’ai pas saisi. Je crois qu’il y nichait une part de dérision, de désaccord voir même de moquerie. Il te parlait parfois et dans ces moments-là aussi la gêne de sourire était troublante.
Pour tout te dire, nous sommes partis deux fois ensembles en week-end, amour compris. Presque trois. Au lieu d’aller à Sens, j’avais finalement investi le pécule nécessaire à l’escapade dans des vêtements de grossesse. Je les mets encore. Je n’allais pas nier.
S’éloigner de Paris et flâner sur les plages nous allait comme un gant. Que de sable et jeux dans l’eau.
Mais le premier hôtel était loin de l’eau et plus loin encore des plages. La cartographie m’avait induite en erreur. Le soir, lorsque nous nous sommes retrouvés à la Gare du Nord, le week-end avait d’emblée pris un visage gris. A mon geste qui voulait le surprendre, il avait réagi violemment. En parole et presque en actes. 
Dire que j’étais à deux doigts de lui tourner le dos. Il n’en a rien su. Comme durant la deuxième nuit passée ensemble, j’ai lâché prise: nous sommes allés fumer une cigarette sur le parvis, à cheval sur la queue des piétons en quête de taxi et avons manqué de peu de manquer notre train. Nous avons siroté une bière dans le train en dormant à tour de rôle, comme si nous en avions convenu. Je ne savais pas encore ce jour-là que tu étais au creux de moi. Lui n’arrêtait pas de parler de toi. Pour lui, tu étais en route vers nous. J’étais à mon bonheur de lui, je n’entendais ni ne voyais rien d’autre ou de négatif. Tout ce qui commençait par un doute ou du négatif était rayé d’un trait d’oubli. Je nous voulais bien. Le reste ne pouvait exister qu’en corrélation avec cet être à deux.
J’ai dû le réveiller pour descendre du train. Mais j'avais mal fait mon décompte. Grognon n’est pas le mot qui convient, bien qu’il y ressemble. Je l’ai trouvé, dans sa râlerie, brutal et le nœud qui s’est enroulé dans ma gorge m’a fait souffrir lentement. Quand nous sommes finalement descendus de ce train, il me trouait de questions sur notre destination en s’armant de sous-entendus sur le non-sens de l’orientation des femmes en général. Je n’avais plus envie d’être aimable et aimée et j’ai voulu dénouer le nœud en lui parlant pour mettre nos nerfs en pelotes bien à plat. Il a entendu autre chose que ce que j’ai voulu dire, lui communiquer avec mes réserves qui font que je ne sais pas dire pour dire de peur de blesser et que je me perds dans mes virages linguistiques avant d’arriver tout compte fait à l’irritation de l’autre, celle-là même que je voulais éviter. Il a dit alors qu’il regrettait ce voyage, ce week-end, que s’il avait su, il ne serait pas venu. Le nœud a craqué, gonflé qu’il était par le volcan de larmes, et je me suis retrouvée bouillante en dedans et si rude dehors. Et je nous ai demandé comment il pouvait dire cela. Nous n’avons plus échangé un seul mot jusqu’à l’hôtel. Une fois dans la chambre qui avait su éveiller quelque contentement en lui, j’ai rejoint ses bras et nous avons mimé l’oubli en nous enlaçant et nous embrassant.

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