mardi 11 janvier 2011

Chapitre 2: Tout a commencé là

Quand j’ai senti le téléphone vibrer, mes pas, à contrecœur et par mille détours, me ramenaient lentement chez moi et à la déception, en passant par Saint-Sulpice. Une flamme m’a traversée, de toutes parts, qui me faisait crépiter les doigts. Sa voix alanguie m’a déliée de mon attente et quelques pas de plus m’ont emportée jusqu’à notre point de rencontre. Je n’avais jamais donné ni reçu de rendez-vous au pied de la fontaine Saint-Michel et j’y étais fébrile et détendue. Sur le trottoir d'en face, le kiosque à journaux nous a servi de manège, chacun tournant dans le même sens, mais j’ai fini par le rattraper. Un long manteau noir de dos. Un sourire en pointillés au coin d’une lèvre, que j’ai vu vrai, sur ce visage qui s’est retourné.

Le soleil va se couchant mais reste généreusement chaud entre les arbres du jardin où nous voilà à nouveau reclus pour la nuit. Les journées se ressemblent presque ne seraient les nuances de saisons d’un jour à l’autre. Et l’heure approche où je ne me sens plus que vide, creuse et usée. Repousser quelque peu ce ressenti par le cri des oiseaux, les couleurs, et une certaine qualité de silence, pas trop épaisse ni trop légère.

Après, il y a eu cette soirée où, après un verre, on est parti voir sans pour autant y parvenir. Le train pour la mer, l’hôtel pour l’amour, un café pour se parler, un métro pour se regarder : tout nous échappait. Le point m’a sauté aux yeux dans l’un de ces moments, je ne sais plus lequel. J’ai juste su que nos peaux s’aimeraient. Je l’ai su vite. Peut-être dès l’instant où, à l’angle d’une phrase il a saisi mes mains pour les serrer fort avec les siennes. Non, ce geste a bouleversé le cours de ma pensée et un peu celui de ma vie. Je me rappelle m’être dit : « Oui, mais non. Je ne suis pas prête. Ça va trop vite. » Et dans le même instant, je me sentais déjà lover le long de son long corps et dans sa vie. Je n’ai rien dit, je lui ai laissé mes mains et lui ai rendu son baiser. Le troc était facile, mon cœur ne demandait qu’à battre encore plus fort dans la grotte de mon corps.

L’air dans le jardin est orange et frais. Ste Anne va mettre ses patients au ralenti pour que le mode sommeil vienne vite et répare un peu. Seule avec le bruit du RER, d’une porte qui claque et d’un balai qu’on passe, je pense à ma dé-vie. Quelque chose en moi s’est dévitalisé, et ça n’est pas que toi. Tu n’es pas partie seule et j’ai bien failli, ou plutôt mal puisque sans succès, te rejoindre.

Mon premier geste ce matin est pour les dahlias. Je me lève pour rouler le volet qui leur cache le soleil. Ste Anne est encore endormie, plus pour très longtemps. Je vole ces quelques instants pour essayer d’y trouver quelque forme d’envie, de joie. Oui, les dahlias sont beaux, superbes, est-ce là l’expression d’une joie ? Je ne supporte plus d’écouter aucune des musiques que j’aimais, elles m’écorchent du dedans. Les seules privilégiées logent sur le disque dur et me ramènent à mon dentiste préféré, il s’agit de morceaux de jazz. On frappe à la porte : c’est l’appel au petit-déjeuner. Finalement la journée ne commence pas tout à fait mal.

Première journée dans ce « chez-moi » que je ne pensais plus revoir. Étrange impression. La fébrilité tel un élastique m’envoie d’une pièce à l’autre à toute vitesse. À peine si je suis restée assise pour le déjeuner. Depuis je fais, défais, refais ma valise. Me change, déchange, rechange. Rend les échanges difficiles. Comment communiquer avec un élastique ? Surtout comment lui parle-t-on en le reconnaissant sans le connaître puisqu’il n’a pas l’apparence d’un élastique mais celle d’un personne connue et aimée.

Quand je l’ai vu, j’ai eu une forte connaissance de sa présence et de sa riche intériorité. Pour que nos actions ne nous échappent plus, rompre ce cercle d’essais jamais dropés, notre périple s’est donc transformé en la recherche d’un endroit à nous. Le silence n’avait nullement sa place. Nous n’étions que mots, gestes, que chuchotis, murmures, phrases et baisers. Ainsi sommes-nous parvenus à son chez lui, où je n’avais pas l’autorisation d’ouvrir les yeux. C’est donc dans une nuit forcée que j’ai appris à le connaître avec quatre sens, j’avais perdu tous les autres dont le commun.
Cette nuit aura été la plus étoilée de toutes. Je n’ai jamais autant baigné dans le firmament. Sa peau avait été faite pour la mienne. Le désir le plus fort et le plus partagé nous tenait sous son libre joug. Je ne savais pas encore ce qui lui donnait son caractère unique. Il n’y avait plus de point pour le relier à mon regard. Et il n’y en avait plus le besoin. Tous les mots doux qu’il a laissé glisser dans le creux de mon âme, toutes ses sentences qui me crucifiaient d’émotion et de joie. Tout a commencé là.

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